L'attention : pourquoi est-ce si facile de la perdre ?
Comment la conserver ?
7/15/202510 min read


Le Temps est un bien, il est donc totalement assimilable aux concepts développés en économie. Une définition simple de l’économie est ce qui rassemble les activités humaines tournées vers la production, la consommation, l’échange et la distribution de biens et de services. Comme le temps n’est ni un service, ni productible, ni vraiment échangeable et encore moins distribuable, c’est une denrée économique qui ne peut qu’être consommée, et ce de manière finie. Et comme dans toute activité économique, il y a de fortes tensions sur la consommation de notre temps, et plus spécifiquement sur ce qui profite le plus aux autres acteurs que nous-même : notre attention.
Et autant le dire tout de suite, c’est de pire en pire.
On passera l’ironie qui veut que, pour que vous lisiez cet article, j’aie attiré votre attention sur son contenu : c’est un exemple typique du fonctionnement de base de cette économie où les acteurs sont de plus en plus nombreux – et dans laquelle je me considère pourtant comme très modeste.
Le déroulé intégral de votre journée sera une succession de tentatives d’accaparer votre attention, donc votre temps, en vous faisant croire que c’est pour votre bénéfice – c’est d’ailleurs ici que la question économique de l’échange entre en jeu, même de façon limitée. La question est de savoir à quelles sources d’attention nous succombons consciemment, et auxquelles nous accordons trop de notre attention sans nous en rendre compte.
A ce petit jeu, des acteurs économiques comme Netflix, YouTube et la plupart des mastodontes de la production télévisuelle sont très doués, et disposent d’armes redoutables. Leur objectif : garder votre attention le plus longtemps possible en échange de… de quoi d’ailleurs ? D’une vague promesse de divertissement ?? Mais, peut-on être totalement diverti, et suffisamment pendant une période donnée ?
Les entreprises désignées semblent penser que non, même si leurs modèles économiques respectifs ne sont pas du tout similaires. YouTube va a voir un intérêt direct à garder l’attention de ses spectateurs parce que, plus longtemps ils restent et consomment du temps sur la plateforme, plus ils regardent des contenus publicitaires qui bénéficient directement à YouTube, ce qui n’est pas le cas de Netflix. Pourtant, cette dernière plateforme va chercher au maximum à attirer la curiosité de ses clients qui ne font que payer un prix fixe mensuel, quel que soit la quantité de programmes regardés. On ne parlera pas de cette économie-là.
Qu’est-ce que Netflix peut avoir à gagner à maintenir ses clients sur la plateforme, alors qu’ils paient un prix fixe ? La réponse définitive est incertaine, mais il existe « une » réponse. Tant que nous sommes sur la plateforme, nous ne sommes pas ailleurs, et c’est tout le principe de cette bataille de l’attention, et de la guerre économique qui fait rage autour de notre temps limité, de plus en plus limité.
L’échange est ici corrompu : le temps dépensé devient vite énorme comparé au niveau de divertissement obtenu, surtout quand celui-ci n’est pas garanti : certes, l’algorithme nous propose du contenu en fonction de nos goûts, mais il va surtout mettre en avant certains contenus de la manière qui nous « parle » le mieux. Vous avez un compte et êtes le seul utilisateur ? L’algorithme va partir du principe que vous êtes célibataire et mettra donc des images aguichantes en suggestion de programmes que vous n’avez pas encore regardé. C’est très simple, et très efficace pour vous subtiliser quelques heures de plus, cette semaine, voire ce jour. Sans même que vous ne vous en rendiez compte.
(Pour lire davantage sur ce sujet, l’étude complète des équipes de Netflix (1) : ...eh, vous avez vu comment vous vous êtes fait attirer l’attention sur un sujet supplémentaire ?)
Revenons à nos capteurs d’attention : s’ils la veulent, c’est au moins en partie parce que, pendant que vous êtes avec eux, vous n’êtes pas ailleurs. Avec votre famille, à votre travail, à vos études… à la concurrence. Cette bataille de l’attention est surtout une bataille de concurrence, comme beaucoup de batailles économiques. Et comme toutes ces batailles, c’est nous qui sommes au centre des préoccupations des acteurs, plus seulement pour notre argent, mais pour quelque chose de beaucoup plus précieux, notre temps.
Et Netflix n’est qu’un tout petit de ces capteurs. Regardons bien : votre ordinateur, votre téléphone, votre télévision, tout porteur de média en réalité, accapare notre attention. Mais ce n'est pas tout, on y reviendra.
Conséquences ? Nos habitudes prennent le dessus, notre capacité de décision est réduite, et les arbitrages que nous faisons de notre temps ne servent que trop mal nos intérêts directs.
Il n'est pas possible de parler ici d'addiction, terme généralement réservé aux produits illicites ou aux comportements nécessitant une intervention médicale précise. On peut néanmoins utiliser un certain nombre de critères pour savoir si nous contrôlons parfaitement notre usage de ces services et de ces supports, s'ils ont une capacité limitée à accaparer inutilement notre temps, ou si au contraire ils ont un certain contrôle (voire un contrôle certain) sur le déroulé de nos journées.
Puis-je ne pas regarder mon téléphone simplement parce que je m'ennuie ?
Puis-je ne pas vérifier mes mails par réflexe, ou mes messages sur les réseaux sociaux et autres plateformes d'échange ?
Puis-je couper l'intégralité des notifications de mes écrans toute une journée ?
Puis-je regarder seulement une vidéo, qui répond à un besoin précis, sur YouTube ?
Puis-je programmer en amont la manière dont je vais regarder une série ou un film sur Netflix ?
Puis-je ne pas cliquer sur une miniature d'un programme sur Netflix que je ne connais pas, dont on ne m'a pas parlé dans mon réseau d'amis ?
Puis-je reposer mon livre et ne pas entamer un nouveau chapitre ? Puis-je ne pas acheter de nouveaux livres alors que j'en ai une vingtaine d'autres à finir avant ?
Puis-je ne pas consommer tel contenu média en dépit des incitations sociales qui m'y pousseraient volontiers ?
On prétextera logiquement que les mails sont fait pour être lus, les messages répondus, les livres appréciés, et les vidéos et autres programmes regardés : oui, bien entendu. La vraie question est de savoir si ce sont eux, ou vous, qui décidez du moment où vous les lirez, y répondrez, les regarderez. C'est l'esprit de la petite citation de Naval Ravikant :
"Les notifications sont à voir comme un réveille-matin que d'autres programmeraient pour vous."
Il n'est pas compliqué d'imaginer ce qu'un réveille-matin sonnant aléatoirement pourrait causer comme dégâts psychologiques à une personne normale... et pourtant, nous nous habituons progressivement à cet état de fait, au détriment de la qualité de notre vie, de nos relations familiales et amicales (qui a passé un seul dîner en 2022 avec femme, mari, enfant, amis, sans qu'un téléphone ne soit brandi à un moment ou un autre du repas, et pour en faire quoi ?), de notre travail et donc de notre productivité. Pour reprendre l'image : imaginez la qualité d'un dossier préparé en deux heures, pendant lesquelles un réveille-matin sonne aléatoirement.
Nous pouvons tous constater cette apathie avec laquelle nous laissons ces outils, ces services, prendre le contrôle de notre capacité de décision. Ce qui est terrifiant, c'est l'accoutumance et la rapidité du procédé : du jamais vu.
Déjà en 2008, des auteurs comme Nicholas Carr se demandaient si "Google nous rend bête" (à lire, en anglais (2). Il a également écrit un livre "Internet rend-il bête ?"), en prétendant que la multiplicité des technologies à notre disposition détruit considérablement notre capacité d'attention et notre concentration, avec en résultat, une qualité de travail appauvrie.
Cal Newport aura d'ailleurs écrit "Deep Work" sur le même postulat que Nicholas Carr : plus nous sommes facilement déconcentrés, moins nous sommes capables de travailler, fut-ce sur des sujets simples. C'est donc une première façon d'expliquer pourquoi l'attention est devenu un enjeu économique majeur : les outils raréfient encore plus notre attention.
Quand on est dirigeant, les sollicitations sont largement plus nombreuses que les seules interactions électroniques que nous venons de mentionner, ou plutôt, leur place n'est pas la même : même si leur nombre n'est pas du tout représentatif, aucun de mes clients n'à, jusqu'à ce jour, exprimé un problème par rapport à une consommation excessive de contenus Netflix ou YouTube, par exemple ! Mais pour les mails, les SMS, les appels, c'est très différent : si on reçoit 100 mails par jour, qu'on passe une minute à lire un seul (100 minutes), qu'on prend deux minutes pour ne répondre qu'à 20 d'entre eux (40 minutes) et qu'on passe 30 secondes à ranger ou supprimer les 80 autres (40 minutes), on passe donc 180 minutes au minimum, soit 3 heures, juste à traiter ses mails. 3 heures par jour, soit 15h par semaine, soit 720h par an au bas mot. Juste pour des mails.
Soit on passe un temps fou à traiter de l'information qui n'apporte que très peu de valeur (pas certain, en tout cas, que ces trois heures par jour aient une valeur économique ou émotionnelle très importante), soit on arbitre à l'aveugle. On choisit aléatoirement à quels messages, mails, appels, etc. nous allons consacrer le peu d'attention à notre disposition. Avec tous les ratés que ça implique, que ce soit en concentration ou en résultats.
Une autre façon de voir va se situer dans nos rapports sociaux ; et ça, ni Nicholas Carr, ni Cal Newport, ni les autres, n'en parlent vraiment. La pression sociale est constamment entretenue et ce, grâce à différentes méthodes.
Une de mes préférées : "Tiens, tu peux me rendre un service s'il-te-plaît ? Ca va te prendre 5 minutes max, promis". Si on est encore sur le sujet au bout de trois heures, ça veut dire que soit on nous a menti (c'est souvent le cas), soit qu'on est vraiment très mauvais (ça peut arriver mais, dans ce cas, la responsabilité incombe à la personne qui nous a délégué la tâche !). Et, pendant ces trois heures, nos sujets n'ont pas avancé d'un poil.
Une autre, qui n'a de rapport au travail le seul fait que la conversation se déroule généralement du côté de la machine à café : "Quoi, tu n'as pas encore regardé tel film/tel série ? Ohlala ce que tu rates, c'est vraiment dommage pour toi !" (Dans une autre vie, je serais retranscripteur de conversations à la machine à café...) Piqué dans notre curiosité, on en parle à notre meilleure moitié qui a eu exactement la même conversation à son travail, à sa machine à café. La pression sociale fait le reste : à quoi ressembleront nos conversations demain si on n'est pas à la page ?
Le summum des capteurs d'attentions en entreprise restent les open spaces, qui seront difficilement détrônables. Quoi que l'on fasse, il y aura toujours un téléphone qui sonnera ou une conversation qui s'engagera entre deux collègues, quelqu'un qui entre ou qui sort de l'espace de travail, une agitation quelconque pour une raison quelconque, qui nous fera lever le nez du travail en cours. Le nombre d'interruptions dans une journée de travail dans de tels environnements est proprement scandaleux, surtout quand on sait qu'il faut cinq minutes de concentration en moyenne pour se remettre au travail après une distraction : 10 distractions équivalent à une heure de travail perdue.
Entre les médias, la technologie, les relations sociales et les modes de vie, pas simple donc de conserver son attention intacte, et sa concentration dirigée vers ce que l'on souhaite. Cette attention et cette concentration ne sera pas sollicitée de la même manière selon que nous sommes dirigeants ou salarié, mais le gâchis et la frustration qui en résultent sont les mêmes !
Que faire donc ?
Les grands classiques : désactiver les notifications des ordinateurs et des téléphones, et prévoyez au contraire des temps spécifiques pour traiter vos mails. Cal Newport, mentionné plus haut, prétend même que l'efficacité et la productivité augmente pour les professions qui devaient être réactives sur ces supports, lorsqu'on abandonne les comportements permettant cette réactivité. Certains de mes clients vont même jusqu'à désinstaller de leur téléphone les applications de gestion de mails, pour être le moins dérangé possible, ni pouvoir céder à la tentation de les regarder, quand ils ne sont pas devant leur ordinateur de travail.
Moins évident : prévoir à l'avance les programmes, les films, les vidéos, les livres qu'on veut voir et lire, avec là aussi, des temps dédiés à respecter. Notre cher algorithme Netflix peut toujours nous suggérer de nouveaux contenus, on peut simplement en prendre note pour la fois où nous manquerons d'idées. En repoussant à plus tard le fait de regarder un nouveau programme, on multiplie les chances de ne finalement pas regarder du tout ce programme puisque son intérêt réel est limité. Une preuve tangible réside dans l'espace "A regarder plus tard" de votre compte YouTube, si vous vous en servez...
Un peu plus difficile : identifier dans notre quotidien toutes les origines de distractions, de tout ce qui perturbe notre attention, et donc la qualité de notre travail, de notre concentration et, en fin de compte, de notre vie : sur lesquelles avons-nous un minimum de contrôle ? De quoi avons-nous besoin pour supprimer ces distractions, qu'est-ce qui nous en empêche ? En agissant directement sur ces éléments, nous reprenons le contrôle sur ce qui compte vraiment.
Quelle que soit la situation, notre attention, et donc notre temps, sont dépendants de la manière dont nous laissons les médias et les personnes autour de nous interrompre le cours de notre journée. C'est normal de rendre service, mais jusqu'à quel niveau de dégradation de nos propres objectifs ? C'est normal de "couper", de chercher à se détendre, de penser à autre chose, mais jusqu'à quel degré d'éloignement de nos véritables objectifs ?
Car oui, la découverte du chercheur et psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, cité par Cal Newport, c'est que le bonheur n'est pas du tout lié à un état de détente optimal, mais au contraire à la capacité de se concentrer suffisamment dans son travail pour avancer dans ses objectifs.
(Voir la vidéo TED de Mihaly Csikszentmihalyi (3) pour plus d'informations)
Ce sera le fin mot de cet article : vous êtes plus de 1550 personnes (merci !) à désormais savoir que c'est la perte de votre attention qui vous rend malheureux. Vous savez aussi, en échange, que pour être heureux, et particulièrement heureux au travail, il suffit de déterminer très précisément vos objectifs, et de ne rien laisser vous arrêter de les poursuivre, ne serait-ce que pour quelques minutes.
Trouvez votre flow, comme l'appelle Mihaly Csikszentmihalyi, délimitez la manière dont votre concentration se perd au profit des objectifs des autres, et ne laissez plus les technologies décider à votre place de ce sur quoi votre attention doit se diriger. C'est votre vie, et vous n'en avez qu'une - donc forcément insuffisante pour tout voir, tout lire : autant choisir des contenus qui en valent la peine, et d'être heureux de la qualité, et non pas de la quantité.
Et, comme vous le savez, je suis là pour vous aider dans cet objectif.
(1) https://netflixtechblog.com/artwork-personalization-c589f074ad76
(2) https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2008/07/is-google-making-us-stupid/306868/
(3) https://www.ted.com/talks/mihaly_csikszentmihalyi_flow_the_secret_to_happiness
Reprenez le contrôle de votre temps !
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