Stress : quelles conséquences sur la gestion du temps ?

Et quels effets sur notre productivité ?

7/15/202511 min read

Je trouve paradoxal qu’on vive une période de l’histoire de l’humanité où il est simple de se détendre, de trouver un divertissement, de débrancher son cerveau à l’aide de moyens plus ou moins légaux, et qu’en même temps on vive cette même période où jamais auparavant le stress et toutes ses conséquences sur notre santé physique et mentale n’ont été aussi présents.

Les lecteurs assidus le savent, justement : j’aime solliciter les avis et les retours d’expériences de dirigeants dont le témoignage permet une prise de hauteur bienvenue. J’avais une crainte, à propos du stress : que très peu de dirigeants acceptent de parler publiquement de leur rapport au stress. Neuf courageux ont accepté, et la variété de leurs expériences autour de la question du stress en entreprise a permis que cet article voie le jour.


J’aurais appris au moins une chose : le mot vient d’un mot d’ancien français qui signifie « détresse ». On retrouve là tout le caractère émotionnel de ce qu’il se passe dans notre esprit puis dans notre corps, face aux agressions extérieures. Le stress, c’est ça : comment on réagit en face de situations non-désirées et potentiellement non-gérables simplement, et quelles sont les conséquences de ces réactions sur notre mental et notre physique.

C’est donc tout naturellement que s’est formée une première question à mes invités : est-ce que le stress fait partie du quotidien, du fait de la nature de la fonction de dirigeant et des responsabilités qui en découlent ?

A cette question se démarquent trois catégories de personnes : celles qui diront non, celles qui diront qu’elles l’ont été et que ce n’est plus le cas, et celles qui diront oui.

Laurent dira non, et explique : « je ne me prends pas au sérieux, je tente de rester humble devant chaque situation, et me rappelle d’où je viens, ça permet de garder la tête froide », en rajoutant qu’un état d’esprit orienté vers les solutions aide davantage qu’un trop concentré sur les problèmes. Anthony ne se sent pas concerné non plus, même s’il a une très bonne excuse : ancien sportif de haut niveau, il sait faire la différence entre les coups de chauds propres à son activité et le stress quotidien qu’il ne laisse pas l’atteindre.

En tant que directeur d’usine, Marc cherche également à faire la part des choses : « Même si je suis de nature calme, on ne se rend pas toujours compte de l’intensité du job. Beaucoup d’heures, beaucoup de contraintes, des imprévus matériels et humains… » parce que derrière, c’est une activité qui tourne 24h/24 tous les jours de l’année, qui emploie plusieurs centaines de personnes, et Marc vit donc avec la possibilité qu’il y ait un accident potentiellement grave, 24h/24 tous les jours de l’année. Plus d’une personne pourrait stresser devant l’ampleur de ce type de responsabilité !

Ancien cadre, Emmanuel ne fait pas de différence entre son statut précédent et celui de nouvel entrepreneur aujourd’hui : « je considère le stress comme une bonne chose. Par exemple, on doit honorer une commande, on se doit d'être parfait, et en même temps on récolte les conséquences du travail en amont ». Il nuance cependant avec le stress possible derrière des phases de doutes, qui sont des composantes de la vie des entrepreneurs et des dirigeants.

Elle a beaucoup été stressée par la nature de certaines missions : Elisabeth l’admet sans problème, et c’est parce qu’elle a connu ce stress au point d’en connaître des problèmes de santé qu’elle a fini, un beau jour, par dire Stop. « Dans d’anciennes expériences, je devais restructurer des filiales d’entreprises à portée internationales. J’ai compris avec le temps qu’il est vital de distinguer ce qu'on s'impose à soi-même et qui n'ont pas forcément de rapport avec la mission, et la mission en elle-même ». Et dans derrière ce qu’on s’impose à soi-même, on trouve des raisons morales, des engagements qui n’ont rien à voir avec ceux pris avec l’entreprise et les actionnaires, et on s’embarque volontairement mais inconsciemment dans des objectifs chronophages, stressants, qui n’ont plus rien à voir avec notre mission première.

Le paradoxe s’accentue quand on sait que notre productivité horaire moyenne a augmenté de près de 200% ces cinquante dernières années : en d’autres termes, si on produisait « 1 » en une heure en 1970, on produit aujourd’hui « 3 ».

D’où la question : comment se fait-il que le stress soit si fortement ancré dans nos vies, et pas seulement nos vies professionnelles, quand on est si productifs et quand on dispose de tant de moyens de déstresser ?

Comme il cumule une activité bénévole en plus de celle de la direction de son entreprise, Thierry reconnait un stress : une seule de ses deux missions pourrait suffire à générer assez de pression. « Il y a tout de même une différence entre ce que je considère des contraintes, côté bénévole, et du stress relatif au monde professionnel ».

Nicolas embraye, au sujet du stress professionnel : « si on considère la conjoncture, le fait de faire tourner correctement l’entreprise, la rémunération et la satisfaction des salariés, les contraintes propres au statut de dirigeant, on réalise vite qu’on avance davantage au jour le jour, avec assez peu de visibilité, ce qui contribue davantage au stress ».

La question du stress qui peut se transformer en anxiété inquiète Pierrick, qui va distinguer un stress de longVoici des clés intéressantes : ce sont des facteurs généralement externes (c’est-à-dire qu’ils ne viennent pas de la personne qui vit le stress, mais de l’environnement) qui vont causer la pression anormale et provoquer une réponse émotionnelle.

Cette réponse émotionnelle va être prise en compte de différentes manières :

- Je ne comprends pas que je suis sous stress et je ne sais pas comment interpréter les émotions qui en découlent, ou je pars du principe que cet état est normal et naturel, donc je ne change rien de ce qu’il se passe dans l’environnement qui cause ce stress, ni dans la manière dont je traite les émotions qui en découlent, ce qui résulte en un évitement de la situation,

- Je comprends que je suis sous stress, et je trouve une méthode pour réduire la pression, même si cette méthode va avoir une incidence plus ou moins importante sur la qualité de mon travail (alcool, stupéfiants, nourriture, comportements à risque et addictifs)

- Je comprends que je suis sous stress, et je trouve une méthode pour réduire la pression sans que mon travail en pâtisse (c’est ce que va faire Anthony : il explique se mettre dans sa bulle pour rester concentré sur ses actions plutôt que les effets délétères du stress)

Je laisse à chacun le soin de juger de la méthode qui lui semble la plus appropriée et surtout la plus efficace !

Là aussi, détaillons :

- Les comportements deviennent addictifs quand ils sont utilisés de manière inconsciente comme une réponse systématique au stress. Le meilleur exemple connu est celui de la cigarette au moindre signal de pression, mais comme je l’ai indiqué, l’alcool (y compris au bureau), la nourriture, les médicaments, des stupéfiants, sous une forme ou sous une autre, vont être autant de moyens de faire face à l’augmentation de la pression, ou au contraire de l’éviter ;

- L’évitement va être conscient (je choisis de ne pas traiter la cause de l’augmentation de la pression, qui finira bien par retomber quelles que soient les conséquences), ou inconscient (je me concentre sans me rendre compte de mon comportement sur un sujet qui n’a rien à voir avec la pression ressentie).

Dans les deux cas, les différentes stratégies déployées vont coûter énormément de temps à qui les déploie : du temps à ne pas être à poursuivre ses objectifs profonds, à ne pas résoudre la situation qui a généré le stress, à ne pas être au front avec les équipes… à ne pas savoir quoi faire vraiment.

Et, forcément, cette perte de temps va engendrer d’autres conséquences, la première étant la réduction du temps de sommeil : pour rattraper le retard dans le travail, quoi de plus normal ?

Sauf que moins dormir, c’est réduire nos capacités de résistances émotionnelles, principalement parce que notre cerveau a besoin de ce temps de récupération pour faire correctement de tri dans tout ce qui a été vécu et emmagasiné dans la journée ! Qui dit moins de résistance émotionnelle, dit davantage d’exposition au stress.

Un joli cercle vicieux !ue haleine, lié à la conjoncture, à l’imprévisibilité du marché, et celui des pics ponctuels qui finissent par se résoudre. Jérôme, qui est consultant, nous détaille une des problématiques de son métier : « je peux alterner des périodes où il y a beaucoup d’activité, beaucoup de demandes, beaucoup de clients à servir, et d’autres où tout est très calme. Dans les deux cas, ce n’est pas le même stress, mais c’est du stress ! »

Mon tempérament taquin m’a donc conduit à demander à mes invités si le stress qu’ils connaissent ou qu’ils ont connu leur permettait de mieux travailler, et d’atteindre plus rapidement les résultats souhaités.

Pragmatique, Emmanuel part du principe que lorsqu’on doit honorer une commande, on a le devoir de rendre le travail attendu dans les temps, donc on est efficace. « Par contre, physiquement, le stress peut me bloquer très fortement », reconnait-il. Anthony abonde dans le même sens : « C'est la transformation du stress en énergie positive qui permet d'atteindre les résultats et à agir rapidement. Le stress brut va au contraire être très paralysant. » Il est rejoint par Jérôme dans l’idée qu’il peut être parfois préférable de ne pas réagir immédiatement, de s’accorder un temps de procrastination, pour s’imprégner du sujet.

Cette idée du bon stress revient souvent : Nicolas imagine que si tout allait bien, il serait peut-être moins sur le qui-vive, et paradoxalement sollicité sur beaucoup d’autres sujets. Un mal pour un bien ? Thierry le pense : « je peux être fainéant, donc si je n'ai pas de stress ou de challenge, je vais repousser trop facilement certains sujets pourtant prioritaires ». Elisabeth va clairement distinguer le bon stress, celui qui fait partie du jeu, du challenge, et le mauvais, qui pousse aux mauvaises décisions, qui est somme toute nocif.

Laurent sera optimiste dans l’idée que tout objectif finit par être atteint, mais reconnaitra que « le stress va davantage servir de frein que d'accélérateur vers ces objectifs ». Ce coup de frein est connu aussi de Marc, qui distingue le stress routinier auquel on s’habitue bon gré mal gré, et les coups durs « qui vont obliger à consacrer du temps et de l’énergie à remettre la machine en route ».

Peut-on vraiment parler d’un bon stress et d’un mauvais stress ? Le fait est que le stress n’est jamais bon… et qu’en réalité, le « bon stress » n’est pas exactement du stress. C’est une pression, certes, à laquelle on sait naturellement quels moyens on va mettre en œuvre pour résoudre la problématique en cours : c’est pour cette raison qu’on ne le vit pas de la même manière que le (mauvais) stress, qui nous mets face à des limites personnelles, réelles (on n’a que 24h par jour pour tout faire) ou imaginées (ceci n’est pas dans mes compétences).

Comment faire alors pour transformer le « mauvais stress » en « bon stress » ? Ça tient en peu de choses :

- Connaître et reconnaître ses limites : aucun patron, aucun manager ne peut ni ne doit être bon partout. En s’entourant de personnes qualifiées et expertes dans les domaines où le N+1 peut avoir des lacunes, on établit une relation de confiance et la possibilité d’adresser n’importe quel type de pression.

- Se donner les moyens adaptés aux formes que la pression prend : si le stress est quotidien, pratiquer une activité physique quotidienne est une bonne démarche ; si le stress provient d’un manque de communication, définir le cadre dans lequel cette communication doit se faire ou se construire ; si le stress provient d’une surcharge, apprendre à dire non, etc.

C’est très logiquement que j’ai donc interrogé mes invités sur les manières qu’ils utilisaient pour réduire le stress, ou mieux, les causes de ce stress : beaucoup ont confirmé l’importance de l’organisation et de la vision en amont. « Organisation, planning, suivi d'objectifs y compris les aspects financiers », nous dit Marc. Anthony confirme que c’est la stratégie générale de l’entreprise qui donne la direction des actions à mener : tout ira bien si les actions sont conformes et en accord avec la stratégie, et si les décisions sont prises de manière collégiale.

Chose qui ne me surprend pas mais qui intéressera les lecteurs, c’est ce qu’aura déclaré Elisabeth : « il n'y a jamais eu de catastrophe une fois que j'ai arrêté de me stresser, quel que soit le sujet ». Voilà un appel à la sagesse ! Dans le même ordre d’idée, Jérôme aura ses petites techniques, comme supprimer certaines applications de son téléphone, comme les mails qui sont très chronophages et empiètent très facilement sur la vie privée.

Emmanuel plaisantera en disant que « la cause principale d’un stress qu’on ne peut résoudre, c’est celle de la trésorerie ! Tout ne peut pas s’anticiper… donc pour voir les choses dans le temps long, le sport aide beaucoup ». Pierrick abondera dans le même sens, en rajoutant l’importance d’être exemplaire avec les équipes dans notre posture, dans notre façon de communiquer avec elles.

Nicolas admet que réduire ce stress pourrait passer par une phase de recrutement, mais que l’accueil et la formation de nouveaux éléments représente un coût, financier et… en stress, aussi. Forcément. Laurent conclura avec philosophie : « C’est utile d’admettre que, là on est, par exemple le soir à la maison, eh bien rien qu’on ne puisse va pourrait changer les choses. C’est inutile de ruminer, parfois les solutions se présentent d’elles-mêmes ».

Avant de conclure, quelques conseils :

1 – Laisser de la place aux imprévus. Il ne s’agit pas de prévoir l’imprévisible, mais de prévoir ou de planifier un temps-tampon pour les urgences : si elles arrivent, on sera moins stressé. Si elles n’arrivent pas, on a du temps libre pour autre chose. Ce n’est jamais une bonne idée de surcharger son agenda, et des méthodes très simples existent.

2 – Voir le temps long. Privilégier les actions avec une forte rentabilité long-terme, parce que ce sont justement les actions court-terme qui stressent le plus. Plus cette planification est efficace, moins il y a de surprises, donc moins il y a de stress possible.

3 – Planifier dans la durée : planifier quelque chose dans 3 mois aujourd’hui aura infiniment plus de bénéfices que de le laisser dans notre tête sans possibilité de le faire immédiatement.

4 – Dormir davantage, parce que le meilleur antistress créé dans l’univers reste une vraie bonne nuit de sommeil. Inutile de jouer les cadors à dormir 5 heures pour finir surstressé dans 5 ans. Jouer la durée et dormir de vraies nuits est la meilleure recette pour enterrer les concurrents qui n’auront pas cette audace de dormir autant que nous.

Je remercie Nicolas Philippe Barbier, Thierry Baschet, Jérôme Durgeon, Anthony Gilbert, Pierrick Halflants, Elisabeth Sadanger, Marc Thebault, Laurent Thinon et Emmanuel Vitrai pour leur disponibilité et la grande sincérité de leurs réponses, ainsi que des tranches de vies racontées par certains que je n’ai pas pu retranscrire ici. Leur témoignage, comme ceux de tous les autres dirigeants pour les autres articles, sont précieux et m’aident dans mon travail.