Temps, transhumanisme et éternité : quelles limites ?

Et vous, que feriez-vous de votre éternité ?

7/15/20256 min read

Peut-on subir nos journées et manquer de temps, si l’on est immortel ?

Si je pose la question, c’est que la notion d’éternité ou d’immortalité fait bel et bien partie du projet transhumaniste qui voit ses défenseurs de plus en plus présents et écoutés sur la toile et dans les médias.

Je n’ai pas d’avis a priori sur la question : je constate.

Ma véritable interrogation, c’est de savoir si ça va être une solution pertinente par rapport aux problèmes que, moi, je traite, à savoir les quotidiens sous l’eau, la course contre la montre, la perte de concentration, les résultats qui nous échappent, la pression qui augmente.

Un des objectifs transhumaniste, dans lequel l’IA prend une grande part, est d’augmenter la résistance cellulaire des humains qui auront la capacité de s’offrir ce genre de « remèdes », au point de ne plus avoir à mourir. L’IA en particulier et la technologie en général sauront reconnaître les plus petites parties du corps à remplacer ou à optimiser, et pourraient le faire en continu. Plus de vieillissement, donc plus de décès à déplorer.

Dans ce contexte et avec de telles capacités, aurions-nous encore intérêt à courir après le temps ? En réalité, je pense que le problème aurait tendance à s’aggraver.

A) L’immortalité n’est pas (encore) universelle.

Je l’ai dit : tout ceci a un coût. On a donc deux limites : pourrons-nous payer ce coût indéfiniment, et comment faisons-nous pour collaborer avec les personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas réaliser un tel investissement ?

Le problème de la technologie est connu de tous les férus d’informatique : ce qui fonctionne aujourd’hui pour un coût X ne fonctionnera plus demain, sera rapidement obsolète et ne sera remplaçable que par un produit d’un coût Y, généralement beaucoup plus élevé. Il suffit de voir l’évolution technique et commerciale des cartes graphiques, qui ont rencontré un pic sur les marchés du fait de leur utilité dans le « minage » des crypto-monnaies et du BitCoin en particulier.

Si on prête attention aux Lois de Moore, qui nous disent (entre autres choses) que la complexité technique double tous les deux ans, à coût constant, on ne voit pas en quoi les évolutions technologiques propres à l’IA et au transhumanisme seraient exemptées de ces prévisions : elles ont été maintes fois vérifiées depuis les années 1970.

On le voit bien aujourd’hui, même si la grande partie de l’Occident est « à jour » pour répondre aux besoins que l’informatique couvre dans nos activités, la technologie la plus récente coûte de plus en plus cher et se renouvelle depuis en plus rapidement : l’exemple des iPhones est à lui seul très parlant. Il n’est pas possible d’imaginer que les technologies médicales de préservation de la vie suivent un autre chemin, tant les gains à tirer d’un tel marché semblent exceptionnels.

Autrement dit, l’immortalité n’est non seulement pas universelle, elle n’est pas non plus éternelle, ce qui est un paradoxe assez amusant.

Ainsi donc, comment collaborer avec des partenaires qui ne partagent pas notre ambition ? Comment créer une dynamique de travail, des projets, des ambitions, quand d’un côté nous disposerions d’un temps potentiellement infini, et de l’autre eux n’auraient qu’une « vie normale » ? Cette frustration ne peut pas se résoudre en l’état, et il se présente alors deux possibilités :

- c’est à nous, immortels, de nous adapter au rythme et aux impératifs de nos partenaires, mais alors vient la question de l’utilité et de l’intérêt de notre immortalité,

- nous ne travaillons qu’avec des partenaires ayant les mêmes « aptitudes » que nous, ce qui crée un phénomène de caste, de laquelle nous sommes automatiquement éjectée dès l’instant où nous ne pouvons plus suivre les prix de l’évolution technologique.

Dans les deux cas, les conséquences sociales ne sont pas acceptables, et la notion de temps reste tributaire d’autres choix qui présentent rapidement leurs limites.

B) L’infinité de la vie n’est pas la garantie d’une vie réussie.

On attribue à Nelson Mandela l’idée que « soit je gagne, soit j’apprends » : l’échec est avant tout un état d’esprit, autant que l’apprentissage par l’erreur, quand nous sommes devant des résultats qui ne sont pas alignés avec nos objectifs. D’où vient cette capacité d’apprentissage ?

Principalement de notre désir de ne pas reproduire les mêmes erreurs, qui coûtent certes en argent, mais surtout en temps. Or, si nous avions tout le temps du monde et l’éternité devant nous, est-ce que nous serions motivés à apprendre de nos erreurs pour ne plus perdre de temps dans le futur ? Rien n’est moins certain.

Au contraire : avec un temps illimité à disposition, combien d’entre nous voudraient lancer une infinité de projet, n’ayant que notre imagination pour nous brider ? Et, au fond, combien de ces projets verraient vraiment le jour, et combien abandonnerions-nous à la moindre contrariété ou au moindre échec ?

Nous penserions « Ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin d’apprendre de ces erreurs ou de cette frustration, je peux passer outre et me concentrer sur ce que je réussis plus facilement ». Prenons un jeu-vidéo réputé très difficile à terminer comme un des titres de la série des Dark Souls (je demande aux lecteurs tout à fait étrangers à cet univers de me suivre malgré tout !). Le but du jeu est de terrasser toute une panoplie de monstres et d’adversaires tous plus exigeants les uns que les autres à travers un dédale mortel. Il est impossible de terminer le jeu sans perdre un certain nombre de fois, mais chaque moment où nous perdons face à un monstre est une occasion d’apprendre le comportement de cet adversaire. Ainsi quand nous le vainquons enfin, viens une grande satisfaction d’avoir remporté le défi présent, avant de passer au suivant.

Imaginons maintenant que nous puissions tricher : d’un clic de souris, d’une pression sur notre manette de jeu, le monstre est mort, et nous passerions de l’un à l’autre sans aucune difficulté. Quelle serait la satisfaction de terminer un jeu de cette manière ? Ce serait insipide et inintéressant.

Eh bien, mon postulat est de dire qu’une vie infinie aurait la même saveur. Il serait de plus en plus difficile de passer d’un sujet à un autre en gardant une motivation élevée et un engouement pour la réussite de ses projets, puisque les échecs n’auraient aucun sens dans la manière dont on en tire des apprentissages pour la suite.

Pour quelle raison apprend-on si ce n’est pour « mieux faire » ? Pour quelle raison veut-on « mieux faire » si nous avons tout le temps du monde à disposition pour réaliser nos projets ? Ce cercle vicieux n’a pas de fin. Apprendre sert à survivre, et survivre n’a aucun sens si on est immortel.

Au bout du compte, la capacité que le transhumanisme nous donnerait de détecter, grâce à l’IA, ce qui ne va pas dans notre corps ou notre esprit et d’augmenter ou de remplacer ce qui ne nous convient pas, me fait penser à ce que sont les vampires, dans la littérature fantastique du XIXème siècle.

(Je précise, parce que le phénomène a évolué dans des circonstances parfois très étranges !)

Ce personnage va renoncer à son humanité et gagner l’immortalité par la même opération, en se faisant contaminer par un autre vampire. Pourquoi le vampire le contamine-t-il ? Pour ne pas rester seul à vivre éternellement : on retrouve un problème évoqué dans le point A ci-dessus.

Certes, il déploie une force surhumaine (comme si ses facultés étaient augmentées), certes il devient rapidement très cultivé puisque le temps n’a plus de prise sur lui, et certes quelques subtilités l’affaiblissent ou le trahissent : l’ail et les croix le repoussent, il n’a pas de reflet dans les miroirs et il ne peut pas entrer dans une maison sans y avoir été invité. Malgré tout ça, il va très, très vite s’ennuyer et n’aura de choix que de contaminer une autre victime comme il l’a été lui-même, ou de chercher à y mettre fin puisqu’elle n’aurait plus aucun sens, comme dans le point B présenté ci-dessus.

Est-ce à dire que les humains augmentés du futur chercheront, un jour, un équivalent au pieu de bois dans le cœur pour enfin disparaitre et goûter au repos, rien n’est moins sûr. Il y aura des moyens plus simples d’arrêter le désastre, si on le souhaite. Toujours est-il que ce futur-là n’est pas, à mon sens souhaitable.

Pourquoi non ? Je viens de le démontrer : au lieu de subir le temps qui passe parce que nous serions condamnés à disparaitre comme la nature nous le commande, nous subirions le temps qui ne passe pas parce que nous serions condamnés à ne plus avoir de but dans cette vie. Plus de but, donc plus aucun goût, plus aucune excitation (hormis peut-être celle de contaminer autrui), plus aucun sens. On ne manquerait certes pas de temps, mais on manquerait de tout le reste.

Cette question étant résolue, reste la plus importante :

Si demain, on te proposait une sorte de vie éternelle grâce aux progrès de la science, et même pour un coût financier minime, l’accepterais-tu ? Et pour quelles raisons ?